The Bongo Hop

La Pata Coja
Sortie le 15 novembre 2024
Label: Underdog Records
The Bongo Hop nous revient avec son melting-pot dansant, métisse et hors genres. Issu de l’imaginaire mouvant d’un « atlantiste » en quête perpétuelle, son nouvel opus nous invite, entre surprises et collaborations au long cours, au cœur de la fabrique de sa musique, dans un album organique, sans fard, empreint de sincérité.
Pourquoi avoir autant attendu pour ce nouvel album?

C’est vrai, je ne suis pas un serial producteur ! Quand je compose quelque chose, ce n’est pas pour remplir un espace, mais parce que j’ai quelque chose à dire, et j’aime l’idée qu’aucun morceau ne soit jetable. Jusqu’à présent, j’ai évité de me répéter et parfois ça prend du temps :
une partie des chansons de ce nouvel album a été composée durant le covid, et je me suis arrêté en cours !

Il y a eu La ñapa entretemps.

Voilà. Je n’avais pas tout composé, je n’avais pas envie de le forcer. Donc il y a eu La ñapa, comme un gros amuse-bouche pour patienter. Sur La Pata coja j’avais en tête d’amener en studio le groupe que j’ai sur scène, pour enregistrer spontanément. Or celui que j’avais avant était en fin de cycle, presque tous les musiciens s’apprêtaient à partir sur d’autres projets, le covid est passé par là,
et puis c’était un sextet... j’étais en transition vers la nouvelle formule, l’octet que j’ai réuni en 2022 pour La ñapa. C’est à ce moment seulement que je me suis dit que j’aurais le groupe pour aller en studio. Et puis c’est beaucoup plus de travail, car auparavant avec Patchworks à la coréalisation il y avait ce processus itératif : j’avais quelqu’un pour me donner un avis sur mes compos, proposer, au besoin je retravaillais les arrangements en fonction des échanges. Là je suis seul sous cet aspect, et en même temps entouré d’une jouerie incroyable.

On retrouve des vocalistes qu’on connait, des choses familières par rapport à Satingarona pt2. Du coup, est-ce un TBH nouveau ou pas ?

C’est nouveau, car d’abord le son redéfinit beaucoup de choses. La façon d’enregistrer aussi. Tandis qu’avec Patchworks on fonctionnait comme un binôme dans un contexte de production façon hip hop, là il n’y a pas de filet, pas de modifs sans limite. En gros, ce qui est en boite le jour de la session, c’est ce qu’on entendra au final, un peu comme nous voir sur scène. Il faut donc que ce propos, qui est paradoxalement assez minimal alors qu’on passe à un groupe de 8, soit complet tout en ayant le strict minimum. Et qu’en termes d’arrangement ça fonctionne du premier coup.
Ca force à faire des choix de composition qui se traduisent dans l’esthétique et la patte sonore,
qui est nouvelle. Ca fait une palette de couleurs différente.

Comment tu te situes dans ton parcours ? Tu es né à la musique dans ton exil Colombien, aujourd’hui tu es en France.

Dès le début j’essayais de dire que je n’étais pas inscrit dans un « style colombien », mais que les influences de ce pays dans ma musique se ressentiraient par des choses plus subtiles, mais bien réelles. Je me battais contre ces étiquettes cumbia etc. J’ai toujours soigneusement évité de surfer sur la hype colombienne et je peux te dire que quelqu’un comme Nidia apprécie ça !
J’ai mon histoire, ce bagage musical, émotionnel, et des moments marquants dans ma vie qui se sont déroulés là-bas. Mais après, ce que je fais s’est toujours inscrit au présent de ma vie, et surtout dans l’imaginaire. Même habitant en Colombie,
je passais autant de temps à écouter de la musique ouest africaine que colombienne, et à rêvasser de Sao Tomé, de Pointe Noire, de Porto Novo. Que ce soit à l’époque ou aujourd’hui, il y a les voyages qu’on fait, mais surtout ceux qu’on voudrait faire et qui sont l’occasion d’amasser de la matière,
ces cartes qu’on consulte le soir entre un bouquin, un verre de rhum et un disque, les rêveries. Comme un colombien, je refuse d’être assigné à d’où je viens, et où je suis. Bon, maintenant ils voyagent plus facilement (rires) ! Tout ça tisse une toile qui se complexifie, trop grande pour rester dans le cadre d’un seul pays, si riche soit-il.

Parle nous un peu des invités dans cet album.

C’est comme une expérience de labo, où on veut voir ce que ça fait de travailler le même style, mais avec un son différent. Alors j’ai voulu partir avec des vocalistes qui ont marqué mes précédents disques : Nidia Gongora bien sûr, mais aussi Kephny Eliacin et Laurene Pierre-Magnani, avec qui on a partagé beaucoup d’expériences en tournée. C’est aussi par la tournée que j’ai découvert Francy Bonilla, la nièce de Nidia, de Timbiqui comme elle, et qui m’a bluffée lors d’une série de dates épiques au Canada. J’avais très envie de l’entendre dans mon disque. Pour EkoEko, j’avais cette compo assez atypique
à la fois créole et un peu sombre - je doute que beaucoup de rythmes « vidé » soient arrangés comme ça ! C’était assez difficile d’envisager quelqu’un...et puis on m’a suggéré Moonlight Benjamin. J’en avais entendu parler bien sûr, mais à l’écouter vraiment, c’était elle et personne d’autre. Avec son personnage baroque vaudou, elle allait bien avec le côté carnaval obscur de cette pièce.

Il y a des invités inattendus à la voix, tu as parlé de Moonlight Benjamin, mais aussi Jean Tchoumi justement, Lucas Santtana ?

Je voulais continuer à tisser cet univers de langues dans ce trip transatlantique, que je revendique depuis Satingarona pt1, alors j’ai voulu une autre chanson avec une patte lusophone. J’ai beaucoup d’admiration pour Lucas Santtana, que j’ai connu en tant que journaliste en 2009, avant qu’il perce en France. C’est RKK qui m’avait mis sur sa piste,
je l’avais suivi, interviewé à Sao Paulo. J’étais revenu habité par ce que j’y avais entendu -brésilien ou pas- et des rencontres musicales incroyables avec Amayo d’Antibalas, Rica Amabis, Thalma de Freitas, Ceu, Les Nubians, Nina Becker !! j’en avais ramené cette énergie au fond de moi, une voix qui me disait de plus en plus fort : toi aussi il faut que tu fasses de la musique. Dans ma tête, Lucas et d’autres sont associés à ce moment. Pour Jean Tchoumi le point de départ c’est que je lui ai dit qu’il fallait faire des chœurs pour Ah Kumana,
et que s’il fallait on les ferait nous-mêmes. Il faut savoir qu’il a une belle voix, parfois sur scène je l’entends chanter les choeurs à tue-tête en yaourt, sans micro. Et puis après lui avoir dit ça j’ai raccroché, j’ai réfléchi et je me suis dit : mais pourquoi ne pas lui donner la voix lead sur ce morceau ? Rythmiquement, l’énergie, tout lui correspond. Quand je lui ai dit il n’a pas hésité,
on aurait dit qu’il m’attendait.

Ce titre, La pata coja, ça veut dire quoi ?

Avoir la pata coja c’est un peu avoir la jambe de bois. J’ai écrit l’instru quand j’étais en convalescence, je m’étais abimé les croisés en sautant dans une rivière à la Dominique. C’est un peu la peau de banane de la pochette... J’avais peur de devoir renoncer à ma raison d’être : marcher dans la nature. Et c’est à ce moment-là que j’ai composé ce morceau, et lui ai donné ce titre. Puis au moment de le proposer à Nidia, elle a perdu successivement deux frères, puis sa mère. Elle était sans forces. Après un moment on a parlé, je lui ai expliqué les circonstances dans lesquelles je l’avais fait, ce que j’en tirais : à différents degrés il y a des blessures qui te laissent transformé, blessé à jamais, des trucs que tu porteras toujours comme une balafre. Mais malgré tout tu continues à avancer, à danser. Pas aussi facilement qu’avant, pas avec la même agilité, mais tu avances quand même, avec ta pata coja. Elle a compris l’analogie et le morceau a pris son envol. Personnellement c’est aussi ce rapport avec le fait d’avoir commencé la musique de zéro très tard dans ma vie : j’ai ce handicap que je trainerai toujours avec mon instrument, mes connaissances limitées mais c’est ta patte boiteuse qui te pousse à inventer des solutions et faire des trucs originaux, qui te sont propres.
Balade entre influences soul, africaines et latines, La pata coja donne son titre à un album aux styles variés. Eko Eko est une relecture du vidé, un rythme carnavalesque antillais. Brouillant aussi les pistes, Magica Bonita avec ses accents pop bresilienne 70s, évoque le carnaval sur un roulement de chirimia, un rythme de fanfare du Choco colombien. Mi olla, témoin des espoirs de la jeune génération Petro, explore l’afro beat à la sauce colombienne sur fond de cuisine commu- nautaire. L’oubli mauve est un clin d’œil à l’Oblomov de Goncharov, le livre de chevet de TBH tandis qu’il composait cette balade afro jazz claire-obscure. Dans meMento Nidia Gongora nous liste ses plaisirs sur un mento jamaicain façon Timbiqui. Dans la biguine vitaminée Dekonekte Kephny Eliacin raconte les affres du déracinement et de la lutte quotidienne pour survivre à Paris. Dans le soukouss Ah Kumana, le pécheur Kumana chante avec malice son quotidien de la brousse camerounaise.