Rusan Filiztek

Exils - De la Mésopotamie à l'Andalousie
Sortie le 27 septembre 2024
Label: Accords Croisés
Joueur de saz, le luth à manche long de l’Asie Mineure, chanteur, musicologue, Ruşan Filiztek a beaucoup voyagé par les musiques, de son Anatolie natale à l’Istanbul de l’adolescence, puis à l’Irak et à la Syrie dont il a arpenté les musiques, avant d’arriver en Europe par l’Andalousie et de prendre la route de Paris. Cet album ne pouvait se faire que là où tous ces musiciens sont rassemblés car Exils déploie un tissage d’amitiés et de complicités qui dépasse les contours de ce que l’on appelle d’habitude un groupe – le guitariste flamenco François Aria, le percussionniste Juan Manuel Cortes, le flûtiste celtique Sylvain Barou, le joueur de duduk arménien Artyom Minasyan, la violiste Marie-Suzanne de Loye, la chanteuse grecque Dafné Kritharas, la chanteuse flamenca Cécile Evrot, les bassistes jazz Leila Soldevila et Emrah Kaptan.
Joueur de saz, le luth à manche long de l’Asie Mineure, chanteur, musicologue, Ruşan Filiztek a beaucoup voyagé par les musiques, de son Anatolie natale à l’Istanbul de l’adolescence, puis à l’Irak et à la Syrie dont il a arpenté les musiques, avant d’arriver en Europe par l’Andalousie et de prendre la route de Paris. Cet album ne pouvait se faire que là où tous ces musiciens sont rassemblés car Exils déploie un tissage d’amitiés et de complicités qui dépasse les contours de ce que l’on appelle d’habitude un groupe – le guitariste flamenco François Aria, le percussionniste Juan Manuel Cortes, le flûtiste celtique Sylvain Barou, le joueur de duduk arménien Artyom Minasyan, la violiste Marie-Suzanne de Loye, la chanteuse grecque Dafné Kritharas, la chanteuse flamenca Cécile Evrot, les bassistes jazz Leila Soldevila et Emrah Kaptan.

Tous vivent à Paris, incarnant le double sens du mot sürgün en turc, qui signifie à la fois l’exil et le plan, la pousse, la bouture que l’on plante dans une nouvelle terre. Comme Rusan, leur exil les a enraciné ailleurs. « Ce ne sont pas seulement des musiciens avec lesquels je travaille. Je vis avec eux. » Et, par ces amitiés, Ruşan passe par les portes laissées ouvertes d’une culture à l’autre, par les ponts visibles seulement par ceux qui écoutent. Dans Soleá del encuentro, parfums et arpèges andalous s’enlacent à l’ancienne langue turque mêlée de mots d’arabe, de persan ou de grec, typique d’Urfa, la ville du prophète Abraham. Et la viole de gambe rappelle, par sa facilité à dialoguer avec les modes d’Asie Mineure, que le oud traversa les Pyrénées au XVe siècle et laissa ses traces entre Notre-Dame et Versailles.
D’ailleurs, l’album s’achève par Zyryab, double hommage à Paco de Lucia qui composa ce titre, et au mythique musicien né au Kurdistan et mort à Cordoue au IXe siècle qui donna sa cinquième corde au oud et révolutionna autant la musique que le désir de la musique. On y entend un saz électro-acoustique, des nappes de clavier, une basse électrique, comme pour signifier aussi que la route ne s’arrête pas aux paysages traversés pour venir et qu’elle ne vaut que si elle s’aventure plus loin. Rusan Filiztek est né en 1990, à peu près en même temps que la house music et il aime le mystère dans les sons électriques et électroniques. Mais c’est aussi un souvenir d’enfance, lorsque les musiciens des mariages kurdes jouaient dans les rues d’Istanbul en branchant leurs saz sur des boîtes à rythmes de house.

Un jour, Ruşan Filiztek explorera plus loin les musiques électroniques, et aussi l’orchestre de chambre européen, et aussi le jazz, comme il a croisé la musique bretonne sur son précédent album, Sans Souci, ou travaillé avec Jordi Savall, maître catalan de la musique baroque et Renaissance, sur son projet Orpheus, qui mobilise des musiciens en diaspora. Et, avec son rythme balkanique, le titre Neighbours est né du ballet éponyme, sur lequel il a travaillé avec deux danseurs de William Forsythe, l’Albanais Brigel Gjoka et le Kurdo-allemand Rauf « RubberLegz » Yasit.

Peut-on parler encore de musique traditionnelle quand on s’aventure autant ? Son enracinement entre Anatolie et Mésopotamie semble surtout rappeler que cette région du monde se dessine mieux en nœuds et en lacets qu’en lignes droites. Et le cercle d’amis qui jouent et chantent avec lui en quelques langues forment une sorte de Fania All Stars d’une Méditerranée élargie – jusque dans la pulsion de danse, avec les irrésistibles Çoxê Mino et Kubar Yare qui invitent à l’ivresse, à la transe, au partage.

On aurait forcément aimé être là, dans le studio et lieu de vie du 360, dans le XVIIIe arrondissement, ces sept jours de 2023 où Exils a été enregistré. Une assemblée dont les contours et le répertoire se sont dessinés en 2019 pour un concert au festival des Suds à Arles, en première partie de Bobby McFerrin. En quintet, en sextet, augmentée d’autres amis, la formation lui offre aussi la possibilité de déployer toute la famille des saz. Sur cet album, on entend cinq de ces luths, depuis le çura aigu, jusqu'au très grave divan saz électro-acoustique d’un bon mètre, construit dans les années 1960, que l’on entend improviser dans la pièce Exils.

Ruşan Filiztek ne peut vivre ailleurs que dans ce mouvement de partage et de découverte, de voyage et de don. Comme la promesse d’un futur et même d’un passé meilleur, décapé des épreuves infligées aux peuples et des rancunes imposées aux mémoires. Et, de cette histoire rédimée, il fait un présent généreux, libre et radieux.
Il a fallu marcher pour faire cet album. Une de ces longues marches comme les mythes et les historiens aiment les dessiner d’un crayon rêveur et vif sur une carte du monde. Une longue marche qui traverse tant de lieux et de cultures que les lointains peuvent se dire voisins, que des inconnus désormais cousinent, assemblés à la même table de musique et parlant la même langue (car, chacun le sait, si tu me comprends, c’est que je parle ta langue, et si tu me souris, c’est que tu parles la mienne).

Joueur de saz, le luth à manche long de l’Asie Mineure, chanteur, musicologue, Ruşan Filiztek a beaucoup marché par les musiques, de son Anatolie natale à l’Istanbul de l’adolescence, puis à l’Irak et à la Syrie dont il a arpenté les musiques, avant d’arriver en Europe par l’Andalousie et de prendre la route de Paris. « Cet album ne pouvait se faire que là où tous ces musiciens sont rassemblés », dit-il : car Exils (de la Mésopotamie à l’Andalousie) déploie un tissage d’amitiés et de complicités qui dépasse les contours de ce que l’on appelle d’habitude un groupe – le guitariste flamenco François Aria, le percussionniste Juan Manuel Cortes, le flûtiste celtique Sylvain Barou, le joueur de duduk arménien Artyom Minasyan, la violiste Marie-Suzanne de Loye, la chanteuse grecque Dafné Kritharas, la chanteuse flamenca Cécile Evrot, les bassistes jazz Leïla Soldevila et Emrah Kaptan.

Tous vivent à Paris, incarnant le double sens du mot sürgün en turc, qui signifie à la fois l’exil et le plan, la pousse, la bouture que l’on plante dans une nouvelle terre. Comme Rusan, leur exil les a enraciné ailleurs. « Ce ne sont pas seulement des musiciens avec lesquels je travaille. Je vis avec eux. » Et, par ces amitiés, Ruşan passe par les portes laissées ouvertes d’une culture à l’autre, par les ponts visibles seulement par ceux qui écoutent. Dans Soleá del encuentro, parfums et arpèges andalous s’enlacent à l’ancienne langue turque mêlée de mots d’arabe, de persan ou de grec, typique d’Urfa, la ville du prophète Abraham. Et la viole de gambe rappelle, par sa facilité à dialoguer avec les modes d’Asie Mineure, que le oud traversa les Pyrénées au XVe siècle et laissa ses traces entre Notre-Dame et Versailles.

D’ailleurs, l’album s’achève par Zyryab, double hommage à Paco de Lucia qui composa ce titre, et au mythique musicien né au Kurdistan et mort à Cordoue au IXe siècle qui donna sa cinquième corde au oud et révolutionna autant la musique que le désir de la musique. On y entend un saz électro-acoustique, des nappes de clavier, une basse électrique, comme pour signifier aussi que la route ne s’arrête pas aux paysages traversés pour venir et qu’elle ne vaut que si elle s’aventure plus loin. « Je suis né en 1990, à peu près en même temps que la house music. J’aime le mystère dans les sons électriques et électroniques… » Mais c’est aussi un souvenir d’enfance, lorsque les musiciens des mariages kurdes jouaient dans les rues d’Istanbul en branchant leurs saz sur des boîtes à rythmes de house.

Un jour, Ruşan Filiztek explorera plus loin les musiques électroniques, et aussi l’orchestre de chambre européen, et aussi le jazz, comme il a croisé la musique bretonne sur son précédent album, Sans souci, ou travaillé avec Jordi Savall, maître catalan de la musique baroque et Renaissance, sur son projet Orpheus, qui mobilise des musiciens en diaspora. Et, avec son rythme balkanique en 3-2-3-2-2, le titre Neighbours est né du ballet éponyme, sur lequel il a travaillé avec deux danseurs de William Forsythe, l’Albanais Brigel Gjoka et le Kurdo-allemand Rauf « RubberLegz » Yasit – « il se passe sur scène des choses très imprévisibles avec eux, et cela inspire ».

Peut-on parler encore de musique traditionnelle quand on s’aventure autant ? Ruşan ne sait pas encore, par exemple, si la musique aborigène découverte en Australie l’amènera quelque part. Et son enracinement entre Anatolie et Mésopotamie semble surtout rappeler que cette région du monde se dessine mieux en nœuds et en lacets qu’en lignes droites. Et le cercle d’amis qui jouent et chantent avec lui en quelques langues forment une sorte de Fania All Stars d’une Méditerranée élargie – jusque dans la pulsion de danse, avec les irrésistibles Çoxê Mino et Kubar Yare qui invitent à l’ivresse, à la transe, au partage.

On aurait forcément aimé être là, dans le studio et lieu de vie du 360, dans le XVIIIe arrondissement, ces sept jours de 2023 où Exils a été enregistré. Une assemblée dont les contours et le répertoire se sont dessinés en 2019 pour un concert au festival des Suds à Arles, en première partie de Bobby McFerrin. « Le spectacle a été bien accueilli. Nous avons continué. » En quintet, en sextet, augmentée d’autres amis, la formation lui offre aussi la possibilité de déployer toute la famille des saz. Sur cet album, on entend cinq de ces luths, depuis le çura aigu de 23 cm, jusqu'au très grave divan saz électro-acoustique d’un bon mètre, construit dans les années 1960, que l’on entend improviser dans la pièce Exils.

Ruşan Filiztek ne peut vivre ailleurs que dans ce mouvement de partage et de découverte, de voyage et de don. Comme la promesse d’un futur et même d’un passé meilleur, décapé des épreuves infligées aux peuples et des rancunes imposées aux mémoires. Et, de cette histoire rédimée, il fait un présent généreux, libre et radieux.

Bertrand Dicale