Oriane Lacaille

iViV
Sortie le 6 octobre 2023
Label: Ignatub / Mdc / Pias
Le premier album d’Oriane Lacaille porte l’heritage de sa culture creole. De la douceur des comptines à l’ardeur de la transe, la chanteuse-percussionniste chante ses joies et ses colères dans un geste collectif.
Oriane Lacaille était prête sans le savoir. Quand elle rembobine la genèse d'iViV, le premier album sous son nom, elle décrit une étincelle qui a allumé un feu de joie. Notez le graphisme du titre, avec ses « i » comme des allumettes et ses « V » comme des flammes : iViV (Ça vit, en créole) consume un héritage, deux identités, trois musicien(ne)s et une brassée de rencontres pour alimenter le brasier. La chaleur du foyer procure son réconfort, son halo suggère une spiritualité et on y danse autour.

Le feu couvait depuis longtemps. Il trouve son origine dans une maison haut-savoyarde remplie d'instruments lointains. Oriane y a grandi, après que ses parents eurent quitté la Réunion à la faveur de la nomination de sa mère comme professeure de français dans un lycée d'Annemasse. Son père a suivi. L'accordéoniste René Lacaille forme, avec Alain Péters et Danyèl Waro, le triangle rénovateur des musiques insulaires dans les années 1970. Le triangle est aussi la première percussion dont Oriane – née en 1986 – s'empare quand elle est enfant. Suivent les maracas, la clave, le kayamb et tout ce qui lui tombe entre les mains. Mais elle rêve d'abord d'être chanteuse : dans la génération précédant la sienne, le métier de musicienne n'est pas encore accessible aux femmes réunionnaises et ses tantes n'ont pas le droit de toucher aux instruments que tous ses oncles pratiquent avec son grand-père. Oriane et ses cousines plus âgées avant elle, sont les premières qui, grâce aux changements de mentalités obtenues de haute lutte par leurs aînées, ont la chance de perpétuer la tradition familiale.

Dans le clan Lacaille, Oriane est le métronome : son sens du rythme est implacable et, dès ses 13 ans, elle devient le socle du groupe paternel. Durant les vacances scolaires puis à plein temps après son Bac, la percussionniste-choriste parcourt le monde avec son père qui improvise en intégrant des ingrédients avec la même générosité que quand il cuisine le cari ou le rougail dans ses marmites. Oriane, qui ne chante qu'en créole jusqu'à ses 20 ans, côtoie des artistes caribéens, africains, japonais ou indiens, intègre le jazz et les musiques de bal, sans dévier du ballant métronomique qui lui confère une sensation d'enracinement. Les racines d'Oriane Lacaille font le grand écart entre une mère métropolitaine et un père créole réunionnais. Elle se dit « Zoréol », moitié zoreil moitié créole, deux identités reliées par un fil sur lequel elle a longtemps cherché l'équilibre. De cette bâtardise assumée, elle embrasse aujourd'hui la richesse extraordinaire : ses deux cultures et ses deux langues sont au cœur d'iViV.

Oriane Lacaille a aussi hérité de cette idée que la musique n'est pas une pratique personnelle mais un geste collectif qui étreint la famille, les amis, les amours et les inconnus qui veulent bien s'en mêler. Sa rencontre avec Coline Linder a ainsi accouché de son premier groupe, Titi Zaro. Alors qu'elle se fait une montagne de l'écriture et de la composition, elle empoigne un ukulélé – instrument aussi mélodique que rythmique – et trousse des chansons françaises aux accents insulaires. Deux albums et quinze ans plus tard, un nouveau tandem scelle son union amoureuse avec le guitariste-chanteur JereM Boucris. Bonbon Vodou est un projet acidulé qui convoque la poésie, la fantaisie, la danse et les esprits. Cimetière créole, son deuxième album sorti en 2021, a partout rencontré des publics enthousiastes. René Lacaille et Danyèl Waro figurent au nombre des invités, ainsi que Piers Faccini. L'auteur-compositeur-interprète anglo-italien, artisan de bijoux blues-folk dans son studio cévenol, y produit aussi la collection « Hear My Voice » sur son label Beating Drum. Succédant à Gnut, TUi MAMAKI et Horsedreamer, Oriane Lacaille a été sollicitée par Piers Faccini pour y enregistrer les quatre titres de son premier EP en 2022. Elle est là, l'étincelle qui a allumé le feu de joie.

Oriane Lacaille n'est pas seule sur iViV. Elle insiste sur l'implication de ceux qui l'accompagnent dans l'aventure : Héloïse Divilly à la batterie et Yann-Lou Bertrand aux contrebasse, trompette et flûte, chacun également investi dans les envoûtantes harmonies vocales. La première, Réunionnaise, est coutumière des musiques insulaires calées sur le contre-temps ; le second, notamment entendu derrière Luna Silva, s'est coulé dans les rythmes en 6/8 qui dominent l'album. Oriane Lacaille aime citer le guitariste et ethnomusicologue Bob Brozman selon lequel les oppresseurs jouent en binaire alors que les opprimés le font en ternaire. Sans intellectualiser pour autant : elle respire la musique et l'exhale telle quelle sur ses compositions tricotées avec ses ukulélés et parfois son aouicha. Le petit guembri gnawa lui a été offert par Loy Ehrlich. Le multi- instrumentiste, membre du Hadouk Trio et de multiples projets internationaux, formait, à la fin des années 1970, le groupe Caméléon avec René Lacaille et Alain Péters auquel il offrit le même instrument. Le symbole est fort pour Oriane qui a naturellement invité Loy Ehrlich et son père à la rejoindre sur son disque. Il a été enregistré par Freddy Boisliveau, l'ingénieur du son aux manettes de Gatir, de René Lacaille èk Marmaille, et des albums de Titi Zaro. Les boucles se bouclent pour solidifier les liens dans cette communauté.

Délaissant les rivages de la chanson, Oriane Lacaille est revenue sur le terrain du maloya et du séga pour composer des ritournelles faussement simples, sur des paroles qui entremêlent le français et le créole jusqu'à inventer une poésie bilingue. Elle a souvent rédigé ses textes lors d'ateliers d'écriture où elle se joue des figures imposées. « Zambrocal, rougail mangue, piment oiseau, letchi, zanana, zavoca, bisik », énumère-t-elle dans la chanson iViV, éloge de la culture créole avec une invitée de marque, la violoncelliste et chanteuse Leyla McCalla qui explore son identité américano-haïtienne depuis le creuset qu'est la Nouvelle-Orléans. Au rayon des invités, Piers Faccini apparaît sur Li bat et Laura Cahen sur Flèr qu'elle a co-composé. Et Loy Ehrlich et René Lacaille se rejoignent sur Lam la mer. Le séga Ride a été inspiré par le livre Reflets dans un œil d'homme dans lequel Nancy Huston observe que les sociétés occidentales ne représentent plus la vieillesse, tandis que le maloya Timo est un adieu à une amie disparue. Dans La fleur qui ne poussera jamais, Oriane raconte un rêve : dans un paysage post-apocalyptique, un homme nu et sec se penche sur une femme allongée, pose sa bouche sur son sexe ; elle s'enfonce alors dans le sable sur lequel une phrase se dessine, « Je suis la fleur qui ne poussera jamais ». JereM a composé Lam la mer sur lequel Oriane, qui habite aujourd'hui au bord de la Méditerranée, rapproche le sort des migrants qui s'y risquent de celui des esclaves de la traite atlantique. Parmi les onze titres, citons encore Aouicha dancefloor qui, cosigné avec Héloïse et Yann-Lou, porte les corps vers la transe.

Avec la douceur des comptines ou la force des percussions, Oriane Lacaille chante ses joies et ses colères en assimilant son héritage familial dans une personnalité trempée. Précieusement orchestré sur des harmonies vocales raffinées, iViV marque l'épanouissement de cette trajectoire créolisée.
Oriane Lacaille : chant, ukulélé soprano, ukulélé diatonique, ukulélé baryton, aouicha, kayanm, tambour

Héloïse Divilly : chant, batterie, kayanm, percussions

Yann-Lou Bertrand : chant, contrebasse, trompette, flûte traversière

Freddy Boisliveau : guitare dobro, EBow, banjo, guitare

Piers Faccini : chant, guitare (Li bat)

Laura Cahen : chant, guitare (Flèr)

Leyla McCalla : chant, violoncelle (iViV)

René Lacaille : accordéon (Lam la mer)

Loy Ehrlich : guembri (Lam la mer)

JereM Boucris : choeurs (Lam la mer)